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dimanche 29 avril 2012
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Après plus de 1 000 festivals l'été dernier, la saison anglaise des raouts musicaux démarre dans la morosité : faillites, annulations et manque de têtes d'affiche assombrissent un tableau autrefois florissant. La faute à la crise, aux droits d'inscription universitaires et aux toilettes publiques.
Depuis une vingtaine d'années, les gros festivals anglais font la pluie et le beau temps sur le rock. La pluie et le beau temps font (ou défont) les mêmes festivals : la pluie est tellement traditionnelle par exemple au gigantesque raout de Glastonbury qu'à cette occasion, les chiffres de ventes de bottes en caoutchouc explosent dans le pays. Certaines marques de chaussures sortent même des séries limitées pour "Glasto", rivalisant de couleurs et d'excentricité, alors que les magasins de vie au plein air vendent carrément des packages spéciaux comprenant tentes et sacs de couchages étanches !
Pour participer à ces festivals à des positions avantageuses, le plus haut possible sur l'affiche, certains artistes sont prêts à tourner à perte le reste de l'année, pour se bâtir un profil et une base de fans suffisante pour garantir cette exposition massive, aussi bien au niveau du public que des médias. Les festivals eux-mêmes s'entretuent pour garantir les têtes d'affiche qui écraseront la concurrence et feront venir diffuseurs TV et sponsors : on atteint vite le million de dollars de cachet dans cette fuite en avant.
Car autrefois réservés à quelques monstres qui se partageaient l'Angleterre en un Yalta gentleman, les groupes phares - tous les Coldplay, The Cure, Beyoncé, Jay-Z, Arcade Fire, Stone Roses, etc. - sont aujourd'hui la cible de milliers de festivals sur-sponsorisés, qui font de la surenchère systématique. De l'Europe de l'Est à l'Espagne, de la Scandinavie à la France, ce sont exactement les mêmes groupes qui, pendant soixante jours d'été, se transforment ainsi en chasseurs de primes. Ils décrochent des cachets parfois exorbitants, sur lesquels ils vivront toute l'année : le même groupe coûte parfois, pour un organisateur de concerts, deux à cinq fois plus cher en juillet qu'en novembre !
Cette prolifération donne une dérangeante impression d'uniformisation, de nivellement de ces festivals, souvent programmés par les mêmes agents, qui refourguent à plusieurs villes les mêmes affiches. Ces raouts sont ainsi devenus des supermarchés du son, pratiquant l'abattage sans sélection, dont on ressort hagard et forcément frustré d'avoir raté tant de groupes programmés aux mêmes heures, sur des scènes éloignées de kilomètres parfois.
Ces festivals ont pris une telle importance en Angleterre qu'ils ont même engendré un son : pour avoir grandi dans ces vastes publics, pour ne connaître des concerts que cette démesure, une génération entière de musiciens bombarde ainsi un rock épique dès le début, s'imaginant devant 50 000 personnes avant même avoir joué dans une cave. De Morning Parade à Glasvegas, on ne compte plus les jeunes groupes au son surpuissant et aux refrains emphatiques, déjà prêts à affronter la multitude, avec leurs guitares au grand vent et leurs batteries destinées à faire taper à l'unisson des milliers de mains. L'efficacité remplace chez eux la finesse : ces groupes destinés aux seuls festivals sont régulièrement infects sur disque.
Le grand danger financier de ces festivals, un business autrefois juteux, reste donc leur prolifération et leur uniformisation. Ceux qui résistent le mieux à la crise sont à la fois les petits et les très gros : ceux qui revendiquant une identité forte, une programmation consistante et rare. Les autres, les moyens, qui se partagent à peu près les mêmes artistes, sans grande cohérence souvent, au gré des disponibilités des uns et des autres, seront les premiers à faire les frais de la récession. Il y a eu l'été dernier en Grande-Bretagne presque un millier de festivals de musique : il n'y a juste pas suffisamment d'artistes pour justifier une telle abondance. Il n'y en aura au mieux que 700 en 2012. Et beaucoup moins encore en 2013.
Surtout que les Jeux Olympiques, qui se tiennent en Angleterre en juillet et août, leur font une énorme concurrence. Déjà, le gigantesque festival Big Chill a jeté l'éponge après presque vingt ans d'activité face à cette concurrence implacable. Glastonbury, le légendaire raout rural, qui hésitait à octroyer à ses prairies de l'Ouest une année de jachère, est également hors circuit : le festival n'aurait pas pu garantir un nombre suffisant de policiers et de toilettes portables, les uns et les autres réquisitionnés par les Jeux Olympiques !
Le public en ayant marre d'être traité parfois comme du bétail, la qualité de l'accueil et du site jouent de plus en plus un rôle fondamental dans le réflexe d'achat de places. En France, Beauregard, Rock en Seine ou les Eurockéennes, pour ne citer qu'eux, ont depuis longtemps pris en compte ces données fondamentales, symbolisées au niveau européen par les festivals hautement attractifs et user friendly que demeurent Bestival en Angleterre ou Benicassim en Espagne.
Car l'heure est grave pour les festivals : en 2011, nombre d'entre eux, qui affichaient complet depuis des années, n'ont pas réussi à écouler la totalité de leurs places, dont les mastodontes Reading et Leeds. Une trentaine de festivals établis comme le Folk Festival d'Oxford ou celui de l'île de Man, on fait faillite, alors que d'autres se sabordaient plutôt que de risquer pareil sort. En plus de la crise économique, la décision du gouvernement Cameron d'imposer des frais d'entrée exorbitants aux étudiants universitaires - le cœur de cible de ces événements - a produit des effets immédiats.
Mais il n'y a pas que ça : à l'origine nés des utopies hippies, les gros festivals ont peu à peu trahi cet esprit, jusqu'à devenir, comme les grands événements sportifs, un gigantesque aimant pour droits télévisés et surtout sponsors multinationaux, à la présence massive, braillarde même parfois, sur les sites.
Mais il n'y a pas que ça : à l'origine nés des utopies hippies, les gros festivals ont peu à peu trahi cet esprit, jusqu'à devenir, comme les grands événements sportifs, un gigantesque aimant pour droits télévisés et surtout sponsors multinationaux, à la présence massive, braillarde même parfois, sur les sites.
Face à cette normalisation, l'esprit hippie subsiste dans de petits festivals largement familiaux et ruraux, qui eux connaissent en Angleterre, comme le Hop Farm, un engouement largement ignoré par les médias. "Pas de sponsors, pas de marques, pas d'espace VIP" clame sa publicité. Espérons que son dogme ne s'usera pas avec le temps.
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